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Un rapport interministériel préconise le recours à l’amende pour l’usage de cannabis

Révélé par « Le Monde », ce rapport, remis par des représentants de plusieurs ministères à Manuel Valls en octobre, est resté lettre morte.

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Publié le 11 août 2016 à 11h32, modifié le 12 août 2016 à 10h20

Temps de Lecture 5 min.

Plants de marijuana au musée Bob Marley à Kingston, en Jamaïque, le 9 juin 2015.

Manuel Valls osera-t-il reprendre Ă  son compte les conclusions du rapport sur « l’efficacitĂ© de la rĂ©ponse pĂ©nale appliquĂ©e aux usagers de stupĂ©fiants Â» qu’il avait lui-mĂŞme commandĂ© en juillet 2015 ? RĂ©unis sous l’égide de la mission interministĂ©rielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), des reprĂ©sentants des ministères de la justice, de l’intĂ©rieur, des finances et de la santĂ© sont arrivĂ©s Ă  la conclusion qu’il serait pertinent de faire Ă©voluer la loi de 1970 rĂ©primant – notamment – la consommation de cannabis.

Constatant l’inefficacitĂ© de la lĂ©gislation actuelle, ils se sont prononcĂ©s Ă  l’unanimitĂ© en faveur de la suppression de la peine d’un an de prison pour simple usage de drogue et pour la mise en place d’une contravention de 5e classe pour usage de stupĂ©fiant, avec une amende forfaitaire dont le montant pourrait ĂŞtre de l’ordre de 300 euros. Le groupe de travail a fait le choix de ne pas distinguer le cannabis -  90% des interpellations pour usage -, des autres stupĂ©fiants, dans le but de ne pas le « banaliser Â».

Le rapport, que Le Monde s’est procurĂ©, est sur le bureau du premier ministre depuis le 30 octobre 2015. Depuis, rien n’a bougĂ©. Comme si, Ă  quelques mois de la fin du quinquennat, rĂ©former – ou mĂŞme simplement toiletter – la loi de 1970 sur les stupĂ©fiants Ă©tait politiquement trop risquĂ© pour l’exĂ©cutif. Nulle part pourtant, le rapport du groupe de travail ne propose une quelconque lĂ©galisation ou dĂ©pĂ©nalisation du cannabis, des sujets beaucoup plus polĂ©miques.

InterrogĂ©e par Le Monde, la chancellerie dit avoir « conscience du problème soulevĂ© Â» par le rapport mais assure qu’« il n’y a pas de volontĂ© de modifier la lĂ©gislation Ă  court terme, sous pression mĂ©diatique Â». Les prĂ©conisations des spĂ©cialistes devraient donc rester lettre morte d’ici Ă  la fin du mandat de François Hollande.

« Effet dissuasif limitĂ© Â»

Le constat des experts des ministères est sĂ©vère. Si la loi prĂ©voit en thĂ©orie une sanction d’un an de prison et 3 750 euros d’amende pour un usager de drogues, rares sont les consommateurs qui sont finalement condamnĂ©s Ă  une telle peine au regard du nombre de dĂ©lits relevĂ©s. En 2014, plus de 170 000 personnes ont Ă©tĂ© interpellĂ©es pour usage de stupĂ©fiants, ce que les auteurs du rapport qualifient de « contentieux de masse Â». Dans la plupart des cas, elles dĂ©tenaient sur elles des quantitĂ©s « modestes Â» de cannabis qui ne permettaient pas aux forces de l’ordre de les poursuivre pour « dĂ©tention de stupĂ©fiant Â», un dĂ©lit plus grave, passible de dix ans de prison et 7 500 euros d’amende, qui concerne les personnes soupçonnĂ©es de trafic.

Sur les 100 000 faits d’usage ensuite traitĂ©s par les tribunaux, les deux tiers ont fait l’objet d’alternatives aux poursuites (dont près de 41 000 rappels Ă  la loi). Au final, seules 1 426 personnes ont Ă©tĂ© condamnĂ©es Ă  de l’emprisonnement ferme. Et seules 150 personnes – rĂ©cidivistes â€“ purgent actuellement une peine d’emprisonnement pour la seule infraction d’usage de stupĂ©fiants.

« Puisque les peines d’emprisonnement ferme sont rarement prononcĂ©es et encore plus rarement mises Ă  exĂ©cution, l’effet dissuasif est limitĂ© Â», jugent les auteurs du rapport. « Un nombre important d’infractions constatĂ©es ne fait l’objet d’aucune procĂ©dure Â», constatent-ils Ă©galement, estimant que cela contribue au « renforcement du sentiment d’impunitĂ© des usagers Â».

De fait, l’usage du cannabis semble s’être banalisĂ© en France. Près de 700 000 Français fument chaque jour des joints. En 2014, 11 % des Français âgĂ©s entre 18 et 64 ans ont consommĂ© du cannabis au moins une fois dans les douze mois prĂ©cĂ©dents, selon une Ă©tude de l’Institut national de prĂ©vention et d’éducation pour la santĂ© (Inpes, aujourd’hui SantĂ© publique France) parue en avril 2015. Face Ă  ces mauvais chiffres, en hausse, Danièle Jourdain-MĂ©nninger, la prĂ©sidente de la Mildeca, expliquait en octobre 2015 Ă©tudier « plusieurs pistes pour dĂ©terminer ce qui serait le plus efficace pour faire baisser les consommations Â».

Si la contraventionnalisation proposĂ©e permettrait une plus grande lisibilitĂ© de la rĂ©ponse pĂ©nale aux yeux des consommateurs, elle permettrait Ă©galement de dĂ©gager du temps aux policiers, gendarmes et magistrats submergĂ©s par le traitement de ces petits dĂ©lits. Les forces de l’ordre consacreraient ainsi plus d’un million d’heures chaque annĂ©e Ă  traiter ces procĂ©dures pour usage de drogues et seraient mĂŞme « contraintes Â», pour assurer ces tâches, « de se dĂ©tourner frĂ©quemment des missions et des secteurs initialement assignĂ©s Â», fait valoir le groupe de travail.

La mise en place d’une telle amende viendrait par ailleurs confirmer un mouvement de fond. En 2013, il y a dĂ©jĂ  eu 21 159 condamnations Ă  une peine d’amende pour usage de stupĂ©fiants, un nombre multipliĂ© par deux entre 2007 et 2012. « L’usage de stupĂ©fiants est de plus en plus massivement traitĂ© par des peines d’amende Â», soulignait l’Observatoire français des drogues et toxicomanie (OFDT) en 2015.

Frilosité de la gauche

Les auteurs du rapport laissent cependant au lĂ©gislateur le soin de fixer le nombre de fois Ă  partir duquel le recours au timbre-amende ne serait plus possible, entraĂ®nant le retour Ă  une procĂ©dure de droit commun. En cas de rĂ©cidive, synonyme de « consommation problĂ©matique Â», il faudrait par exemple pouvoir orienter l’usager vers une structure de soin adaptĂ©e. Un seuil en termes de quantitĂ© de drogue dĂ©tenue devrait Ă©galement sans doute ĂŞtre dĂ©fini. En dehors de ces deux points, et sous rĂ©serve que le montant de l’amende ne soit pas « prohibitif Â», car celle-ci risquerait de ne pas ĂŞtre acquittĂ©e, « une prĂ©-Ă©tude d’impact de la faisabilitĂ© juridique d’une telle Ă©volution rĂ©vèle l’absence de difficultĂ© majeure de mise en Ĺ“uvre Â», font valoir les diffĂ©rents reprĂ©sentants des ministères.

Lors de l’examen de la loi santĂ© en deuxième lecture Ă  l’AssemblĂ©e nationale, le 27 novembre 2015, alors mĂŞme que le rapport avait Ă©tĂ© rendu Ă  Matignon un mois plus tĂ´t, la ministre de la santĂ© Marisol Touraine s’était opposĂ©e Ă  une telle mesure, dĂ©fendue par des Ă©lus de l’opposition, en expliquant que « le gouvernement souhait[ait] attendre les propositions de la Mildeca Â» pour se prononcer. Deux mois plus tĂ´t, elle avait rejetĂ© l’idĂ©e, estimant que la contraventionnalisation « serait un mauvais signal Ă  adresser Â».

Face Ă  la frilositĂ© de la gauche, la droite pourrait finalement reprendre Ă  son compte une telle mesure. Alain JuppĂ© a inscrit dans son programme son souhait d’infliger une amende « d’une centaine d’euros, payable sur-le-champ, avec information de la famille Â» aux consommateurs de cannabis. Nicolas Sarkozy, lui, avait dĂ©jĂ  prĂ©conisĂ© cette mesure en 2003, avant de faire marche arrière, critiquant sĂ©vèrement durant la campagne pour la prĂ©sidentielle de 2012 François Rebsamen, le maire PS de Dijon alors pressenti pour le ministère de l’intĂ©rieur, lorsqu’il avait proposĂ© une telle contraventionnalisation. A moins que la droite ne recule au dernier moment, comme le premier ministre Jean-Pierre Raffarin en 2004, dĂ©jĂ  par peur du signal donnĂ©.

« C’est un dĂ©bat inflammable qui peut ĂŞtre dĂ©tournĂ© de son objectif, Ă  gauche comme Ă  droite, estime Laurent Marcangeli, dĂ©putĂ© LR de Corse-du-Sud et corapporteur en 2014 d’un comitĂ© d’évaluation et de contrĂ´le des politiques publiques consacrĂ© Ă  ce sujet. Certains ont le sentiment que contraventionnaliser, c’est descendre dans l’échelle de la peine, alors qu’en rĂ©alitĂ©, c’est garantir son effectivitĂ©. Â»

Des usagers interpellés, mais peu condamnés
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