Interview

Bientôt des «cannabistrots» ?

En trois mois, la France a vu naître 150 «Cannabis social clubs». Un adhérent commente l’essor de ces associations autogérées de consommateurs qui entendent peser dans le débat sur la dépénalisation.
par Willy Le Devin
publié le 8 octobre 2012 à 17h43

Candidat aux dernières législatives sous la bannière «Cannabis, santé, libertés, justice», rédacteur en chef de La Gazette du chanvre et militant anti-prohibition, Farid Ghehiouèche, 41 ans, commente l'essor en France des «Cannabis social club» (CSC), sorte de coopérative régulant la production et la distribution du cannabis. Il est lui-même adhérent d'un tout nouveau CSC situé dans l'Essonne.

Qu’est-ce qu’un «Cannabis social club» ?

C'est une association autogérée par plusieurs consommateurs de cannabis qui ont décidé de se regrouper pour planter et partager une récolte. Ce modèle, qui s'inspire des systèmes d'échanges locaux et des Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP), vient de Belgique et d'Espagne. Dans ces pays, la culture du cannabis est dépénalisée en-dessous d'une certaine quantité [5 plants par personne en Espagne, ndlr]. En France, sur les trois derniers mois, 150 «Cannabis social clubs» se sont montés, ce qui représente entre 1200 et 1500 consommateurs.

Comment s’organise la culture et la distribution de l’herbe ?

Chaque «Cannabis social club» est différent. En France, le nombre de membres peut aller de trois à une cinquantaine. En fonction, on évalue les besoins en volume et on définit les variétés de produits à cultiver. Nous essayons de faire pousser le cannabis dans les règles de l’art, sans pesticides. Notre herbe est la plus bio possible. Nous voulons aussi à tout prix éviter certaines souches qui contiennent des métaux lourds et qui s'avèrent extrêmement nocives pour la santé. Ensuite, la distribution se fait au prorata de l’argent investi dans la structure. Pour l’instant, les «Cannabis social clubs» demeurent assez confidentiels car nous marchons sur des œufs vis-à-vis des autorités. C’est pourquoi chacun vient avec ses graines. Dans la mesure du possible, nous évitons encore les achats groupés de plantes. Même sur Internet. Toutefois, si le gouvernement devait dépénaliser à terme, nous pourrions transformer les CSC en vrais lieux de vie. On pourrait ainsi monter des «cannabistrots» ou des «cannabars», sur le modèle de ce qui se fait aux Pays-Bas

Comment faire pour encadrer la production et ne pas déraper vers le trafic de stupéfiants ?

Un «Cannabis social club», c'est avant tout la rencontre d'une communauté, d'un groupe ayant des intérêts communs. Tout est basé sur la confiance. Chaque membre s'engage à respecter un code de conduite qui consiste à cantonner le cannabis à l'intérieur d'un circuit fermé. Toute revente à autrui est interdite. [L'article 222-35 du Code pénal stipule que la production ou la fabrication illicites sont punies de vingt ans de prison et de 750 000 € d'amende. Mais lorsque les faits sont commis en bande organisée, la peine grimpe à trente ans de réclusion criminelle et à 7,5 millions d'euros d'amende, ndlr.] On est dans l'autoconsommation pure. Maintenant, je ne me voile pas la face, je sais bien que certains CSC servent de base arrière à des dealers pour faire du trafic. L'avantage, néanmoins, c'est que tous les adhérents d'un CSC se connaissent. On peut donc s'apercevoir des dérives éventuelles d'un membre avant qu'il ne soit trop tard. L'idée, c'est de veiller collectivement à une bonne utilisation du cannabis. Cela demande une réelle maturité sociale et sociétale.

Les CSC peuvent-ils être perçus comme une arme politique pour peser dans le débat sur la dépénalisation ?

Nous comptons effectivement peser lors du Congrès du PS à Toulouse. Nous soutenons les motions qui prônent la dépénalisation pour que cesse l’hypocrite criminalisation des fumeurs de cannabis. Nous en avons marre de nous cacher et de vivre avec la peur de nous faire contrôler. L’Etat doit prendre ses responsabilités afin d’endiguer l'économie souterraine et encourager l’usage du cannabis thérapeutique. Le 1er décembre, nous organisons une Assemblée générale de tous les CSC de France. Ce jour-là, nous réfléchirons à un acte politique fort : nous pourrions tous nous déclarer comme consommateurs en préfecture et voir quelle sera la réponse des pouvoirs publics.

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